martes, 23 de enero de 2018

GAUDÍ. Rêves en pierre


Dans l'après-midi du 7 Juin 1926, un vieil homme avec un air de mendiant était à même le sol au centre de Barcelone après avoir été renversé par un tramway. Il n'avait pas de documents d'identification sur lui. Dans les poches de sa veste usée il ne lui restait qu'une poignée de cacahuètes et des raisins secs, et un livre très usé: les Evangiles. Le Gaudí distrait pensait probablement sur la façon de résoudre un problème de construction de l'église Sagrada Familia, la façade du Nacimiento, sur laquelle il travaillait quand un tramway détruisit ses rêves à jamais.

Durant l’année 2002, un nombre important d'expositions sur la personne et l'œuvre de l'architecte espagnol Antoni Gaudí, ont eu lieu dans le monde entier, en commémoration du 150ème anniversaire de sa naissance. Sur la page web www.gaudi2002.bcn.es, nous pouvons lire: «Beaucoup d'interprétations ont été faites de l'œuvre de Gaudí. Certains considèrent qu'il est traditionnel et d'autres croient qu'il est avant-gardiste. Certains l'appellent Gaudí le grand artiste et d'autres le grand technicien. Certaines personnes le définissent comme un transgresseur, mais certaines défendent son mysticisme. Tout le monde s'accorde cependant en affirmant que ses bâtiments sont étonnants, différents et par conséquent, difficiles à classer ». En fait, Gaudí était un architecte insolite. Cent soixante-cinq ans après sa naissance, nous nous demandons: Etait-il fou, génie, ou saint?

Il est certain qu'un fou n’est pas capable de construire ce que Gaudí a construit. La richesse de la forme des bâtiments de Gaudi n'est pas le fruit du caprice ou de l'imagination insensée, mais le résultat de l'observation minutieuse de la nature et de la capacité de résistance des matériaux et des structures. La folie de Gaudi est dans son originalité. Selon lui, l'originalité c’est revenir à l'origine. L’architecte « High Tech » de renommée mondiale Norman Foster, a déclaré que les méthodes de Gaudí, sont toujours révolutionnaires cent ans plus tard.
Gaudí est l’un de ces artistes dont les créations sont en avance sur le temps. Dans ses œuvres il y a beaucoup d'éléments qui pourraient être trouvés dans les œuvres d'avant-garde des artistes qui l'ont suivi. Il est l'un de ces artistes qui sont impossibles à classer, l'un de ces artistes qui ont une connexion directe et très particulière avec les muses, ou si vous préférez avec Dieu. Lorsque je pense à la vie de Gaudí et à son travail, je ne peux m'empêcher de penser à d'autres créateurs d'univers particuliers, comme le peintre hollandais Hieronimus van Aeken (c1450-1516) El Bosco, ou à un autre hollandais, Vincent Van Gogh, et aussi aux deux Catalans, comme lui: les peintres Salvador Dalí et Joan Miró.
Pour connaître l’œuvre d'un artiste comme Gaudí, il est fondamental de faire l'expérience de l’œuvre même. En d'autres termes, il est nécessaire d'aller en Espagne, principalement à Barcelone, pour la visiter. La connaitre seulement avec des mots et quelques images, cela est presque impossible. Tout ce que je peux faire en quelques lignes est de donner un aperçu de ses œuvres et d'inciter le lecteur à les visiter.
Antoni Gaudí est né à Reus (Juin 1852), une ville catalane prospère à une centaine de kilomètres au sud de Barcelone, d’une famille de plusieurs générations de chaudronniers. L'atelier de son père a été consacré principalement à faire des serpentins de cuivre pour les distilleries. Les formes des tubes en cuivre et leurs ombres sur le mur ont sans doute stimulé la vision spatiale du jeune Antoni Gaudí, un enfant malade atteint d'arthrite congénitale.  Enfant, il restait en marge des aires de jeux, et se consacrait à la méditation et l'observation de la nature qui l’entourait. Il n'était pas un bon élève, ni à l'école ni à l'université, mais très habile dans le dessin et le travail manuel.
Antoni Gaudí est le cinquième enfant de Francesc Gaudí et Antonia Cornet. Ses parents, comme beaucoup d'autres de cette époque, ont perdu deux de leurs enfants dans les premières années de leur vie. Seulement deux, en dehors d’Antoni, ont survécu : un garçon Francesc qui est décédé très jeune, à l'âge de 25 ans, juste après avoir obtenu son diplôme de docteur, et une fille Rosa qui est décédée à 35 ans.
La psychologie de Gaudí a été marquée par les deuils. Sa mère, Antonia est morte juste deux mois après son frère Francesc. Il n’y a que son père qui a eu une longue vie. Il avait 93 ans quand il est mort. En plus de la perte que représentait la mort de ses chers (même sa nièce, la fille de sa sœur Rosa, qui a été adoptée par Gaudí, est morte à l'âge de 36 ans), Gaudí a expérimenté un certain nombre de dépressions psychologiques dans sa vie. Toutes ces adversités l’ont marqué. Il est resté célibataire toute sa vie, mais on sait qu'une fois il a proposé le mariage à une dame qui lui a été présentée par son premier client, Salvador Pagés. Elle l’a rejeté, et cela signifia probablement une cicatrice de plus dans son âme. Sa vie fut consacrée à l'architecture, et pendant ses dernières années il a perdu tout intérêt pour les questions banales. Une seule chose demeurait dans son esprit: la construction du temple de la Sagrada Familia.
On n’aurait pas été en mesure d'admirer la plupart des architectures de Gaudí, sans certains nouveaux riches de la bourgeoisie catalane, self-made men et sans doute un peu fous. Beaucoup d'entre eux ont amassé leur fortune dans les Amériques. Fiers de leurs richesses, ils voulaient montrer leur réussite en tant qu'entrepreneurs. Des gens bizarres, qui ont trouvé dans l'imagination de Gaudí la meilleure manière pour montrer à leurs compatriotes leurs richesses. Mais l'imagination de Gaudí est allée encore plus loin que ce à quoi les clients pouvaient s’attendre.  Ses relations avec les propriétaires n'ont jamais bien fini. On dit que la seule relation de Gaudí avec un client qui n’a pas fini mal, c’est celle avec Dieu.
Parmi les clients de Gaudí, un a été fondamental, Eusebi Güell. Comme un Médicis de Florence, il a été responsable d'une quantité importante d'œuvres de Gaudí comme le Palau Güell construit entre 1886 et 1888, un palais dans le centre de Barcelone avec un dôme inspiré de Sainte-Sophie de Istanbul, où l’architecte n’avait pas de restriction budgétaire.
Le Park Güell (1900-1914), inclus dans la liste du patrimoine mondial, est le résultat d'un projet qui a échoué, de cité-jardin dans une colline de la banlieue de Barcelone. Gaudí se révèle ici non seulement comme fantaisiste, architecte presque surréaliste comme le montrent les pavillons construits, mais aussi comme un maître dans l'aménagement paysager. On pourrait dire que les architectes de Disneyland ont été inspirés par la conception du Park Güell.
Le projet Colonia Güell a été un projet écologique intéressant, destiné à fournir des logements aux travailleurs de l'usine textile de Güell. Malheureusement, il n’a pas abouti. Seule une crypte a été construite (1908-1916). Les formes organiques et apparemment fantaisistes de ce bâtiment sont géométriquement logiques, basées dans la nature ou dans des expériences constructives, en maximisant les capacités de résistance des matériaux.
Gaudí aimait utiliser les carreaux cassés de céramique émaillée pour revêtir les surfaces de ses bâtiments, en créant des mosaïques abstraites. Il a commencé à faire l'expérience avec ce matériel très tôt. En fait, son premier travail en tant qu'architecte était une maison pour un certain M. Vicens, fabricant de tuiles vernissées. Les façades sont entièrement couvertes de ce matériau.
Les maisons les plus célèbres de Gaudí se trouvent au centre de Barcelone dans le centrique Paseo de Gracia. Dans la Casa Batlló (1904-1906), où il est intervenu dans un bâtiment existant, Gaudí s'est exprimé en tant que sculpteur. Le toit représente en quelque sorte un dragon avec des tuiles en écailles. Les dragons sont populaires dans la mythologie catalane. Gaudí, en dépit de sa modernité avancée, a de profondes racines dans la tradition de sa culture.
Quelques ilots au-delà se trouve la Casa Milá, sa dernière œuvre civile, construite entre 1906 et 1910. On dit que les propriétaires ont dû hypothéquer la maison pour payer l'architecte, après une décision judiciaire. Gaudí a donné l'argent à un couvent de religieuses. En dépit de l'aspect massif de l'édifice qui est communément connu sous le nom de La Pedrera -La Carrière-, il n'y a pas de murs porteurs, mais le squelette, comme dans les bâtiments que Le Corbusier et les membres du Bauhaus édifieront des décennies plus tard.
Mais si Gaudí est vraiment connu dans le monde entier c’est en raison de son temple inachevé la Sagrada Familia, l'icône urbaine de Barcelone. L'architecte consacra les dernières années de sa vie entièrement à ce travail, une compilation de ses découvertes et ses conclusions formelles géométriques au service d'une créativité spirituelle. Les modèles de Gaudí et les dessins pour la Sagrada Familia ont été détruits pendant la guerre civile espagnole. Bien que les travaux pour parachever le plus grand chef d'œuvre de Gaudi sont en cours, presque finis, et ce n’est pas une chose anodine, cet effort a été un peu inutile, parce que seul Gaudí aurait pu finir son rêve, sorti de la pierre (à la gloire de Dieu).
Josep Lluis Sert architecte du pavillon espagnol à l'Exposition universelle de Paris de 1937, qui abritait Guernica de Picasso, et l'un des maîtres de l'architecture moderne, a déclaré en 1955: «Il est probable que dans l'évolution continue de l'architecture moderne, plus tard les expériences de Gaudí seront pleinement appréciées. Et la grandeur de son rôle de pionnier et précurseur sera reconnu ". Sert avait raison. Les bâtiments de Gaudi sont admirés de plus en plus au fil du temps. Quoi qu'il en soit, il y a encore beaucoup à découvrir sur les méthodes et les réalisations de ce génie spirituel qui est considéré par un grand nombre de ses compatriotes comme un saint.